L'euro numérique : une monnaie sans mission

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29 octobre 2025

Opinion de Michaël Anseeuw

 

Lorsque Meta a annoncé en 2019 son intention de lancer sa propre monnaie numérique, la Banque centrale européenne (BCE) répliquera : un contrepoids devait être rapidement trouvé, ce sera l'euro numérique. Depuis, le projet de monnaie numérique de banque centrale (Central Bank Digital Currency, le CBDC de détail) a émergé. Des projets pilotes devraient bientôt voir le jour et, dans l’intervalle, les banques nationales ont déjà initié des campagnes de marketing. Et ce, alors que les bases juridiques ne sont même pas encore définies. L’allure à laquelle ce projet est déployé est en contradiction flagrante avec l’absence de nécessité sociale ou économique évidente.  

À première vue, cet euro numérique semble logique : tout devient numérique, alors pourquoi pas l'euro ? Mais en y regardant à deux fois, on se rend vite compte que cet euro numérique est surtout une fausse bonne idée.

Le fait est que notre marché des paiements est déjà largement numérique. Les consommateurs disposent aujourd'hui d'un vaste éventail de solutions de paiement performantes et conviviales. Pas moins de 84 % des Belges préfèrent les paiements numériques à l'argent liquide, et cette tendance progresse sans que la BCE ait eu à intervenir. Les acteurs privés ont fait le travail.

Prenons l'exemple de la Belgique : avec notre système national de cartes, Bancontact, et toute une série d'applications bancaires performantes, nous disposons d'un système de paiement robuste qui nous est propre. Et il en va de même dans d'autres pays. Ce qui explique qu’aucun pays développé dans le monde n'ait encore franchi le pas vers une monnaie numérique de détail. Non parce que la technologie fait défaut, mais parce que la valeur ajoutée n'est pas au rendez-vous. Lorsque les systèmes de paiement existants fonctionnent bien, une monnaie numérique publique est plus superflue que nécessaire. Pourquoi alors investir des milliards dans une nouvelle monnaie numérique dont personne ne veut ?

La seule raison valable qui subsiste est la géopolitique. L'Europe ne veut pas rester dépendante de réseaux étrangers, principalement américains, pour les transactions financières essentielles. La situation géopolitique actuelle, qui se traduit de plus en plus par la formation de blocs économiques, n'est pas étrangère à cette évolution. Il y a donc là un souci légitime. Mais ceux qui en déduiraient que nous avons dès lors besoin d'un tout nouvel euro numérique passent à côté de l'essentiel.

Des innovations telles que Wero, le nouveau système de paiement développé dans le cadre de la European Payments Initiative, démontrent que nous sommes capables de construire une alternative européenne. Il ne s'agit pas d'une nouvelle infrastructure publique parallèle coûtant des dizaines de milliards d'euros, mais d'une alternative modulable et axée sur le marché, qui combine virements bancaires, paiements par carte et transactions mobiles par le biais d’une plateforme interopérable et conviviale. Wero a été conçu pour être évolutif, rester compétitif et renforcer la souveraineté européenne en matière de paiements sans que la BCE elle-même ait à intervenir en tant que prestataire.

Grâce à Wero, les banques européennes sont en mesure de renforcer leur position face aux acteurs étrangers et les clients peuvent continuer à compter sur leurs institutions de confiance. Bref, nous avons là une norme impulsée par le marché, avec une valeur ajoutée évidente pour le consommateur européen. Ceux qui souhaitent réellement renforcer la souveraineté européenne en matière de paiements ont donc tout intérêt à opter pour une coopération renforcée entre les systèmes existants et une législation judicieuse. Cette approche nous offrira de bien meilleurs moyens de garantir notre autonomie de manière plus durable et rapide.

On relèvera d'ailleurs avec étonnement que la BCE elle-même ne s’attend pas à une adoption massive de l'euro numérique. Ainsi, une utilisation « modérée » suffirait-elle. Mais n'est-ce pas là une ambition étrange ? Tout le monde sait que le succès d’un instrument de paiement réside dans sa popularité. Les clients et les commerçants veulent avoir la certitude qu'une monnaie fonctionnera partout. Pourquoi alors investir des milliards dans un système dont même le promoteur se demande s'il verra le jour, alors qu'il existe des alternatives moins coûteuses, plus rapides et plus efficaces ? 

L'Europe n'a vraiment pas besoin de projets technologiques qui ne répondent pas à une contextualisation claire. L'euro numérique peut sembler moderne, mais il risque surtout de devenir un projet public coûteux dont personne ne veut. La voie à suivre n'est pas un mégaprojet, mais une dynamisation judicieuse de ce qui fonctionne déjà.