Opinion de Michael Anseeuw : S’atteler à la réalisation du marché unique des capitaux

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3 juillet 2024

Maintenant que les postes européens les plus en vue ont été distribués et que l'on sait qui dirigera les institutions européennes dans les années à venir, l'attention se porte à nouveau là où elle se doit de l’être : sur le contenu de l'agenda. L'Union européenne est confrontée au défi colossal de renforcer sa résilience économique. L'une des priorités absolues dans ce cadre doit être le développement d'un marché européen des capitaux. Comme l'avait déjà souligné Mme von der Leyen lors de la session de clôture du Parlement européen fin avril, « si nous voulons financer la nouvelle révolution industrielle de notre temps, nous devons mobiliser des capitaux privés en Europe ».

 

Mis en place dans les années 1990 par Jacques Delors, alors président de la Commission, le marché unique est l'une des plus grandes réussites de l'histoire économique européenne. À l'époque, il s'agissait d'une étape importante dans la poursuite de l'intégration européenne et d'une réponse stratégique au besoin d'une économie européenne plus efficace. Avec ses quatre libertés - biens, capitaux, services et personnes - le marché unique a offert aux entreprises des possibilités sans précédent de croître et d’élargir considérablement leur sphère de compétitivité. Il en a résulté une plus grande stabilité et une Europe plus concurrentielle sur la scène mondiale. Le marché unique s'est aussi indéniablement révélé être un maillon capital pour les entreprises belges : elles se sont ainsi vu offrir un accès à un marché 40 fois plus grand que le marché intérieur traditionnel de la Belgique. Trois secteurs ont été délibérément tenus à l'écart du marché unique : la finance, les communications électroniques et l'énergie.

 

Le monde d'aujourd'hui est fondamentalement différent de ce qu’il était il y a 30 ans, à la création du marché unique. Les entreprises européennes sont désormais en concurrence sur un marché mondial beaucoup plus vaste et plus complexe. La situation géopolitique est plus instable et les tensions entre les grandes puissances telles que les États-Unis, la Chine et la Russie ont de profondes répercussions sur le commerce et la coopération économique. Dans de nombreux secteurs stratégiques, de la défense à l'énergie en passant par le pharma et les semi-conducteurs, la souveraineté est à l'ordre du jour. En tant qu'Européen-ne-s, nous ne pouvons plus dépendre des autres pour nos secteurs stratégiques, et cela vaut également pour le financement des différentes transitions : tant dans le domaine du numérique, que de l’énergie, la démographie ou la sécurité. Dans les années à venir, le renforcement de notre autonomie stratégique sera l'un des principes directeurs absolus, ce qui nécessite de gigantesques investissements.

 

Des investissements peut-être encore plus importants seront nécessaires pour mettre notre économie sur la voie de la neutralité carbone. Alors qu'au cours des cinq dernières années, l'accent a été mis sur l'élaboration des règles du Green Deal, dans les années à venir, c’est la mise en œuvre de celui-ci qui devrait retenir toute l’attention. Cette implémentation requerra elle aussi des investissements massifs. À l'échelle européenne, on estime que d’ici à 2030, il devrait s’agir d’un investissement annuel de près de 700 milliards d'euros. Ce sont des sommes que les gouvernements et les banques, qui assurent déjà 80 % du financement, ne peuvent pas supporter à eux seuls. Il faudra donc mobiliser des capitaux privés en Europe. Mais si nous y parvenons, cela attirera également des investisseurs non européens.

Pour atteindre cet objectif, l'Europe va finalement devoir s’atteler à la mise en place d'un marché européen intégré des capitaux, un marché qui, comparé à celui des États-Unis, est petit, fragmenté et donc moins accessible, par exemple, aux start-ups dans le domaine de l'IA, des technologies propres ou des PME à croissance rapide. Ce n'est pas un hasard si l'ancien premier ministre italien Enrico Letta a récemment inclus le développement d'un marché européen intégré des capitaux dans son rapport « Much more than a market ». M. Letta lui-même parle d'une « union de l'épargne et de l'investissement », ce qui a le mérite d'être clair. Au cours des prochaines années, il conviendra de s’adapter à un nouveau paradigme. Dans cette perspective, il sera crucial de faciliter l'accès aux investissements nécessaires pour permettre à nos entreprises européennes d'innover et de se repositionner sur une échelle différente, ce qui est nécessaire pour une économie européenne dynamique et résiliente. Seul ce financement indispensable leur permettra d'innover et d'être compétitives à l'échelle mondiale, ce qui sera bénéfique pour la création d'emplois chez nous.

Un marché européen des capitaux fonctionnant efficacement devrait donc être l'une des priorités absolues de la nouvelle Commission européenne. L'un des principaux éléments constitutifs de ce marché européen des capitaux est la facilitation de la titrisation, qui permet aux banques, mais aussi aux entreprises, de regrouper certains crédits ou flux de revenus qu'elles proposent ensuite sur le marché des valeurs mobilières. Cela permet de débloquer des capitaux privés et de créer de nouveaux moyens, particulièrement indispensables, pour financer les énormes défis de la transition de nos entreprises et industries européennes. Parallèlement, un déploiement prudent et transparent contribuera à rendre l'offre d'investissement européenne plus attrayante pour les investisseurs privés et institutionnels. D'autres régions du monde prouvent qu'un tel marché renferme du potentiel, sans qu'il entraîne nécessaire des risques plus élevés.

Le secteur financier est prêt à contribuer à la construction d'une économie numérique et durable plus forte. Le temps presse. Saisissons cette opportunité ensemble.

Michael Anseeuw, CEO de BNP Paribas Fortis et Président de Febelfin

Febelfin a donné son point de vue à ce sujet.